Physiologie d’une langue encombrée
De Valérie Paüs
« Mon zenfan, tention bébète i souk à ou. Fé bien out prière. Domand’ bon dié pou protèz à ou. Akout’ out’ moman semb’ out’ papa. I fo ou parl bien ! I fo ou travay bien l’école ! »
Bien travailler à l’école ça veut d’abord dire apprendre à s’exprimer correctement
En français donc.
La maîtresse prévient :
« En classe on parle français ! tu gardes le créole pour la cour de récréation ou pour ta maison… c’est compris ?! »
Crache ! est l’histoire d’une traversée.
Une femme entreprend un voyage retour à l’île de la Réunion où elle est née.
Quelque chose lui manque.
Quelque chose lui fait défaut.
Une part de son identité.
La langue créole.
Une langue qu’elle est incapable de parler alors même qu’il s’agit de l’une de ses langues maternelles.
Pendant le trajet retour dans l’avion, du fond de sa mémoire les souvenirs ressurgissent, la ramenant à l’enfance et à l’adolescence dans l’île.
À des épisodes clés qui ont contribué à forger son rapport actuel au créole et au français.
Du fond de sa gorge la langue étouffée gratte et cherche un passage par lequel rejaillir.
Note d’intention
La naissance de ce texte est liée à un malaise. Celui que je ressens en tant que créole d’origine réunionnaise chaque fois que j’ai une discussion avec un locuteur créole, que je m’adresse à lui en français (le plus souvent) ou en créole. D’un côté un sentiment d’auto-exclusion, et de l’autre d’illégitimité. Une impossibilité d’habiter pleinement la langue.
J’ai ressenti la nécessité de mettre en mots ce malaise, d’en faire un sort, d’en faire une fiction qui me permettrait, à partir d’éléments personnels, de mettre en lumière les mécanismes qui en sont à l’origine et tenter, par l’écriture et l’usage poétique, de me réapproprier la langue créole et d’affirmer l’amour profond que je ressens pour elle.
Avec Crache ! (Physiologie d’une langue encombrée) j’interroge ma créolité, ses fondements, et son devenir loin de ma terre d’origine. C’est une quête de soi ; un retour virtuel aux origines et une tentative de renouer avec l’un des éléments qui me constituent en tant que créole et qui pourtant a toujours été entravé, la langue créole.
C’est une traversée intime de la mémoire, une plongée dans les souvenirs liés à mon rapport à mes langues.
Mais le texte s’inscrit également dans un contexte plus large, celui de la politique linguistique de la France, et pose en creux la question de l’altérité, d’une société multiculturelle qui a encore du mal à accepter sa pluralité et qui ne peut s’empêcher de hiérarchiser les langues et les cultures.
Comment se rattacher à son lieu et à sa culture d’origine quand on les a quittés ? Comment reconquérir la part minorée de son identité ? Comment lutter contre les hiérarchisations culturelles inculquées par nos sociétés, par notre éducation ? Faire rhizome plutôt que racine.
La parole est un instrument. Les mots peuvent exercer une action puissante sur l’homme. Ils peuvent modifier notre psychisme, notre identité, notre corps, notre rapport au monde.
Les mots peuvent blesser, ou réparer.
Nous couper de nous-mêmes, de nos racines,
Ou bien construire des ponts.
Crache ! est un pont de mots pour tenter d’atteindre un « être-chez-soi dans la langue » (J. Derrida).
Un spectacle exutoire pour faire rejaillir la langue empêchée du fond des entrailles.
Y revenir – aux origines – par le poème
Par la langue, par la voix, le chant, le rythme
Donner à entendre les secousses sismiques de la langue qui couve
Donner corps et donner voix à cette langue encombrée
Et laisser jaillir le créole
Tendre vers l’extase linguistique
Un exorcisme poétique en somme
– Valérie Paüs
Cie Rhizome
Un texte écrit et lu par Valérie Paüs
Soutiens : Théâtre Transversal (dans le cadre des Résidences Tremplin DRAC) / Théâtre des Halles / Théâtre des Doms / Centre Dramatique des Villages du Haut Vaucluse / L’Entrepôt/Mise en Scène / Département du Vaucluse / Mairie d’Avignon
Contact compagnie : 06 86 86 63 74 | cie.rhizome@gmail.com | https://compagnie-rhizome.fr
Lecture le jeudi 6 octobre à 20h
à la Distillerie
dans le cadre de Place aux compagnies 2022.
Entrée libre.